Cette loi climat restera un révélateur du climato-cynisme du gouvernement et d’Emmanuel Macron qui aura marqué le quinquennat. Les annonces en grand pompe et les promesses aux citoyens et citoyennes de la Convention pour le climat auront été suivies de renoncements successifs et de petits arrangements avec les lobbys. Alors que le Conseil d’Etat vient d’ordonner à l’Etat d’agir sous neuf mois pour remettre le pays sur la bonne trajectoire climatique, et que le Haut Conseil pour le climat a dénoncé une nouvelle fois le retard de la France, cette loi est l’occasion ratée de redresser véritablement la barre en impulsant des mesures structurantes et socialement justes.Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace France
Loi climat : un rendez-vous manqué du début à la fin
En juin 2020, les 150 citoyennes et citoyens de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) publiaient un rapport ambitieux. A la clé : 149 mesures pour réduire les émissions carbone de la France de 40% d’ici 2030, comme le demandait Emmanuel Macron, qui avait promis de les reprendre “sans filtre”, en se réservant quelques jokers. Malgré un mandat de départ fixé par le gouvernement en deçà des exigences de l’Accord de Paris (une baisse de 40% des émissions de gaz à effet de serre en 2030 quand il aurait fallu viser -65% pour être aligné), certaines mesures adoptées par la CCC se montraient particulièrement efficaces.
Pourtant, quelques jours après le dévoilement du rapport, le président balayait déjà plusieurs mesures structurantes, et faisait régner un flou inquiétant sur les suites concrètes.
Quelques mois plus tard, le projet de loi Climat et résilience est à son tour rendu public, et le verdict de la CCC est sans appel : elle remet la note de 3,3/10 au gouvernement pour sa prise en compte de ses travaux. Tous les espoirs se tournent alors vers les parlementaires pour rehausser les ambitions climatiques de la France.
Loi climat : un manque d’ambition parlementaire
Alors que le projet de loi trahit franchement la mission donnée aux 150 citoyen·nes de la CCC, les débats parlementaires sont lancés le 10 février 2021. Les attentes sont fortes pour rendre ce texte courageux, en y intégrant des mesures systémiques et contraignantes pour décarboner notre économie dans plusieurs domaines clés pour la transition écologique, tout en respectant la justice sociale. Consommer, produire, travailler, se loger, se nourrir, se déplacer et faire évoluer le droit environnemental, tels sont les grands piliers de ce projet de loi.
Pourtant, rapidement, et malgré une forte mobilisation de la société civile et le travail volontaire de plusieurs député·es tout au long des débats, il faut se rendre à l’évidence : alors que les propositions de la CCC avaient été vidées de leur substance par le gouvernement, la loi Climat sera tout aussi déconnectée de l’urgence climatique. Seulement 10% environ des mesures des 150 citoyen·nes ont été reprises lors du 1er vote de la loi Climat et résilience à l’Assemblée nationale le 4 mai !
Tous les regards se tournent alors vers le Sénat, qui peut encore faire pencher la balance. Dans la rue, plus de 100 000 personnes ont marché partout en France le 28 mars pour demander une loi plus ambitieuse. Quelques semaines plus tard, ce sont plus de 160 marches qui sont organisées dans tout le pays, le 9 mai, alors que les débats au Sénat commencent mi-juin.
Le 29 juin, le Sénat vote un texte qui poursuit l’entreprise de détricotage de la feuille de route de la Convention citoyenne pour le climat, malgré quelques maigres avancées par rapport au texte proposé par l’Assemblée nationale. Dans la nuit du 12 au 13 juillet, les parlementaires se mettent d’accord sur un texte définitif à l’issue de la Commission mixte paritaire, qui sera voté le 20 juillet 2021 par les deux chambres.
Le constat est clair : le décalage entre l’ambition des mesures proposées par les 150 citoyens et citoyennes et le texte final est immense.
Une loi révélatrice d’un quinquennat perdu pour le climat
Sur tous les volets censés “faire entrer l’écologie dans la vie des Français”, le constat est sans appel. En l’état, cette loi ne permettra pas à la France de respecter la trajectoire de réduction de 40% des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, comme l’ont rappelé le Conseil économique, social et environnemental, le Haut Conseil pour le climat et le Conseil national de la transition écologique. Cet objectif est par ailleurs déjà obsolète à l’heure où l’Union européenne vient d’adopter une trajectoire de -55%, elle-même insuffisante pour rester sous la barre des + 1,5°C.
Vous trouverez ci-dessous un bilan détaillé de trois secteurs clés. Si vous préférez un bilan express, cliquez ici.
Se nourrir
La seule et unique avancée concerne le développement de la nécessaire végétalisation de notre alimentation. Au plus tard le 1er janvier 2023, les cantines publiques et privées sous la responsabilité de l’Etat (prisons, hôpitaux, armée, entreprises de type SNCF…) et qui proposent habituellement un choix de menus seront tenues de servir quotidiennement une option végétarienne. Les cantines scolaires (de la maternelle au lycée), quant à elles, continueront de proposer une fois par semaine un menu végétarien, c’est-à-dire sans viande ni poisson, l’expérimentation de deux ans issue de la Loi EGAlim étant ainsi pérennisée. La loi dispose également qu’elles peuvent, sur base du volontariat, proposer une option végétarienne quotidienne, ce qui était déjà quelque chose de possible et mis en place par certaines villes depuis de nombreuses années.
Par ailleurs, au plus tard deux ans après la promulgation de la loi, les formations continues et initiales relatives à la cuisine sont censées intégrer dans leurs référentiels des modules sur les bénéfices en matière de santé et d’environnement de la diversification des sources de protéines en alimentation humaine. Une avancée essentielle que nous saluons au regard des enjeux sanitaires et environnementaux de la réduction de la consommation de viande. L’ensemble de ces avancées reste cependant insuffisant, en particulier pour les plus jeunes pour qui l’option végétarienne lorsqu’il existe un double choix n’est toujours pas une obligation.
Se déplacer
La loi Climat passe complètement à côté de l’enjeu clé de régulation du trafic aérien, et ce sujet est un bon exemple de l’irresponsabilité climatique et sociale du gouvernement. Il ne s’agissait pas d’accabler un secteur déjà à terre mais de commencer à le mettre sur une trajectoire compatible avec l’Accord de Paris. Cela suppose évidemment d’anticiper dès maintenant les conséquences sociales de cette nécessaire transition pour éviter ainsi qu’aux conséquences terribles de la crise sanitaire s’ajoutent celles d’une crise climatique dont on n’aura rien fait pour limiter l’intensité.
Si on trouve bien dans le texte une interdiction des vols intérieurs quand il y a une alternative en train, le diable se cache dans les détails. La limite est en effet fixée aux trajets qui peuvent se faire en train en moins de 2h30 (alors que la CCC proposait 4 heures) et des dérogations à cette interdiction seront précisées dans un décret, par exemple pour les vols de correspondance. La loi climat ne concernera donc probablement qu’entre une et trois lignes sur la centaine de lignes aériennes intérieures existantes, avec un bénéfice climat extrêmement limité.
La loi est également très faible sur la fin des projets d’extension d’aéroports. Si le texte prétend se saisir du sujet, il s’appuie en fait sur un dispositif inefficace et qui n’inquiètera par exemple aucunement la dizaine de projets d’extension à l’étude sur le territoire français.
Par ailleurs, le sujet ferroviaire est quasiment absent du texte de loi, malgré l’intérêt climatique de ce mode de transport. Même la baisse de la TVA à 5,5% sur les billets de train proposée par le Sénat n’aura pas été conservée dans la version finale de la loi, une mesure qui aurait pu soutenir ce mode de transport. Le gouvernement et la majorité parlementaire n’ont pas non plus engagé de réelle accélération de la fin de production/vente des véhicules fonctionnant avec du diesel ou de l’essence, alors que le cap de 2040 fixé dans la loi d’orientation des mobilités de 2019 est insuffisant. Enfin, si la loi pose un cadre commun pour le déploiement de Zones à Faibles Émissions dans les agglomérations polluées, le dispositif d’accompagnement social est limité, le calendrier proposé reste lointain et ne précise pas d’objectif de sortie pour le diesel et l’essence dans ces zones.
Se loger
Si le gouvernement semble enfin avoir pris conscience de l’échec de sa politique de rénovation énergétique des logements et de lutte contre la précarité énergétique, tant sur le plan quantitatif (nombre de rénovations réalisées ces dernières années par rapport aux objectifs fixés) que qualitatif (niveau de performance de ces rénovations), les solutions proposées dans la loi Climat et résilience sont largement insuffisantes voire contre-productives.
En effet, la loi ne propose aucun mécanisme d’obligation de rénovation énergétique alors que les politiques seulement incitatives ont montré leur inefficacité. Pire, les nombreuses exceptions à la définition de ce qu’est une rénovation performante ouvrent la porte à un gaspillage d’argent public vers des rénovations par petits gestes qui ne permettront pas d’atteindre l’objectif que s’est fixé la France de rénover l’ensemble du parc de logements au niveau bâtiment basse consommation en 2050 pour atteindre la neutralité carbone.
Ainsi, si une rénovation énergétique est définie comme performante lorsqu’elle permet d’atteindre un niveau de performance énergétique A ou B et qu’elle tient compte des six postes de travaux (isolation des murs, isolation des planchers bas, isolation de la toiture, remplacement des menuiseries extérieures, ventilation, production de chauffage et d’eau chaude sanitaire ainsi que les interfaces associées), trop d’exceptions viennent ternir cette définition dans la loi.
Sous certaines contraintes, un gain de deux classes énergétiques et le traitement des six postes de travaux peut suffire à considérer une rénovation comme performante. Et pour les passoires énergétiques (classes F et G), une rénovation atteignant la classe C avec prise en compte des six postes de travaux sera considérée comme performante.
Dans la série du manque d’ambition criant, on retrouve aussi l’interdiction d’augmentation du loyer lors d’un changement de locataire…d’un logement passoire énergétique classé F ou G seulement !
Et le calendrier des logements qui ne seront plus considérés comme décents (et donc interdits à la location) est à la traîne face à l’urgence climatique :
- les logements classés G ne seront plus décents à partir du 1er janvier 2025
- les logements classés F à partir du 1er janvier 2028
- les logements classés E à partir du 1er janvier 2034
- aucun calendrier n’est avancé pour les logements classés D et C
Produire et consommer
Sur ces points clés également, la loi fait l’impasse sur la transition juste et dispense les grandes entreprises, comme les ménages les plus aisés, de faire leur juste part dans l’effort de sobriété et de solidarité nécessaire à déployer pour réduire de façon drastique nos émissions de gaz à effet de serre. Cette loi refuse de voir l’éléphant dans la pièce : les multinationales qui polluent la planète et détruisent notre avenir commun pour des profits à court terme. Rien n’est en effet prévu pour obliger les entreprises à réduire leurs émissions, ni aucune fiscalité carbone pour les ménages les plus riches. Ce faisant, elle n’introduit ni rupture, ni changements structurels à l’échelle de l’économie. Un condensé de greenwashing.
Sur l’interdiction de la publicité climaticide, la mesure ne concerne finalement que les seules énergies fossiles, avec dérogation pour les produits dont le contenu énergétique serait composé à 50% au moins d’énergies renouvelables, un cadeau in extremis au lobby des agrocarburants. L’élargissement de cette interdiction à la réclame pour les véhicules les plus polluants ne se fera qu’en 2028 et ne pourrait concerner qu’une poignée de véhicules.
Comme pour les autres volets, les dérogations, exceptions et autres limites fixées révèlent le vrai visage de cette loi. La radio est par exemple dispensée des messages relatifs à l’information environnementale des produits exposés, les quelques avions publicitaires qui existaient encore sont interdits, mais pas leur équivalent bateau.
Point final de toute cette mascarade, la France s’engage, dans la loi Climat et résilience, à respecter le nouvel objectif qui lui sera assigné par les instances européennes incessamment… alors même que la Commission européenne vient justement de revoir l’objectif français à la hausse ! L’aveu d’une loi caduque avant même d’être appliquée ?
Bref, du vent !
On se demande bien comment le gouvernement va pouvoir redresser la barre, alors que le Conseil d’Etat vient de lui ordonner d’agir sous neuf mois pour remettre le pays sur la bonne trajectoire climatique…
Au moment même où le vote définitif de la loi avait lieu à l’Assemblée nationale, nous avons rappelé les divers renoncements du gouvernement sur cette loi, aux côtés de plusieurs membres de la CCC, des Amis de la Terre, d’Extinction Rébellion, de France Nature Environnement, de Notre Affaire à Tous, du Réseau Action Climat, d’Unis pour le climat et la biodiversité, et de Youth for Climate. Aujourd’hui, et autant qu’il le faudra, nous restons mobilisé·es pour le climat.